Le 17 mai dernier, j’ai participé à la journée d’études “Habiter les stations antarctiques françaises” du séminaire intitulé “Aux avant-postes de la science” organisé par David Dumoulin-Kervran (USN/IHEAL – CREDA) et Isabelle Bianquis (Université de Tours, UMR CITERES). Cette journée a rassemblé plusieurs chercheurs en sciences sociales travaillant autour de la vie humaine dans les régions polaires et subpolaires australes. Voici ci-dessous l’article issu de mon intervention portant sur l’aménagement des bases scientifiques françaises.
Aménager des bases scientifiques en France australe : des paradigmes aux processus, des concepts aux conceptions
L’aménagement dans les TAAF est très particulier à de nombreux titres. En premier lieu, on peut remarquer qu’il s’est fait en plusieurs phases, en commençant par une logique d’appropriation des territoires dans un contexte de compétition internationale des grandes puissances maritimes du XVIIIe siècle. Outre la succession de trois logiques d’aménagement, l’appropriation jusqu’au début du XIXe siècle puis l’exploitation jusque dans les années 1950, et désormais la protection, on remarque que la définition de l’organisation spatiale est floue.
Mon travail de master a eu pour objectif de retracer cet historique de l’aménagement, ses filières et modes de mise en œuvre, ainsi que l’explicitation du vocabulaire géographique autour de ces objet singuliers que nous appelons tantôt « base », « station » ou aujourd’hui « avant-poste ». Ma problématique était la suivante : quels types de bâti pour habiter la France australe et comment s’articulent-ils avec les logiques d’aménagement successives ? L’objectif de mon intervention aujourd’hui est de vous présenter le lien entre l’évolution de l’aménagement des TAAF et la sémantique utilisée pour en rendre compte. La première partie mon intervention me servira à resituer le contexte de l’aménagement dans les TAAF, essentiel pour étudier la différence originelle qui existe entre la « base » et la « station ». La seconde partie visera à explorer le vocabulaire employé pour désigner les implantations humaines dans les TAAF dont la « base » et la « station ». Cette réflexion permettra d’aboutir à une analyse de l’avant-poste et ses implications, notamment spatiales.
Avant toute chose, petite précision de vocabulaire : dans mon mémoire, j’ai réutilisé l’expression de « France australe » créée par Etienne de Flacourt en 1661, l’un des premiers administrateurs coloniaux de Madagascar. L’objectif est avant tout géographique pour éviter un amalgame avec les « îles australes » qui désignent également un archipel polynésien. L’expression nous relie également à un contexte historique et géographique pertinent puisque les navigateurs Yves de Kerguelen de Trémarec et Marc Joseph Marion Dufresne souhaitaient que l’expression s’applique à toutes les terres nouvellement découvertes dans le sud de l’océan Indien. Peu utilisée, elle fut cantonnée à la paraphrase de Madagascar. Aujourd’hui, mon idée est de l’utiliser en synonyme du sigle TAAF.
I – L’évolution paradigmatique de l’aménagement des bases scientifiques en France australe
A – Le projet colonial originel dans le subantarctique à contre-courant du projet scientifique en Antarctique
Découvertes entre le XVIe et le XIXe siècle, les contrées composant les TAAF ont fait très tôt l’objet de dynamiques d’aménagement autour de leur appropriation dans un premier temps qui se matérialisaient d’abord par le dépôt d’une bouteille contenant le document de prise de possession. Pour réaffirmer la souveraineté de la France sur ces territoires lointains et occupés par périodes intermittentes jusque dans les années 1950, des bornes de prise de possession ont été installées et matérialisent physiquement cette souveraineté. Ces actes fortement symboliques ont été suivis d’une occupation humaine visant à exploiter les ressources présentes. L’objectif de la Couronne au XVIIIe siècle était en effet de trouver la vaste terra australis incognita, un « très grand continent dans le sud des îles Saint-Paul et Amsterdam et qui doit occuper une partie du globe, depuis les 45 degrés de latitude sud » (Mémoire du Roi pour servir d’instructions particulières au Sieur de Kerguelen, lieutenant de vaisseau, commandant de vaisseau Le Berrier, 25 mars 1771, Louis XV cité dans la Relation de deux voyages faits dans les mers australes et les Indes d’Yves de Kerguelen de Trémarec). L’objectif de la mission secrète de Kerguelen est de trouver ce continent, d’établir un commerce avec les habitants et d’étudier les productions et cultures pour en tirer profit. Cependant, nous connaissons la suite, en lieu et place du pays de cocagne austral imaginé, Kerguelen découvre les îles de la Désolation qui incarnent étymologiquement l’échec partiel de la mission.
A la suite de cette déconvenue, la France se désengage une première fois de ces territoires. James Cook établit une première carte des îles Kerguelen en 1776 qui servit sans doute aux phoquiers et baleiniers américains et britanniques à tirer profit des ressources présentes sur place : les graisses et peaux animales, dès 1793. Face à ces nations qui organisent l’exploitation, la France réagit et reprend en main les ressources grâce aux frères Bossière au début du XXe siècle tout en réaffirmant régulièrement la souveraineté (1893, aviso Eure). C’est à la fin du XIXe siècle que le projet de colonisation prend réellement forme. Dès 1891, les députés envisagent un aménagement carcéral des îles Kerguelen pour y implanter un bagne, idée rance qui est d’ailleurs ponctuellement brandie dans la presse encore aujourd’hui. Le projet est abandonné deux ans plus tard pour envisager un aménagement agricole des TAAF. Après de nombreux échecs des frères Bossière (rudesse du climat pour les moutons, guerre mondiale, difficultés financières et scandale des oubliés de l’île Saint-Paul), c’est finalement un projet de colonie de peuplement qui est esquissé dans les années 1950.
Ce retour contextuel permet de comprendre qu’il existe un aménagement à deux vitesses dans les territoires les plus austraux des TAAF (et même trois vitesses en prenant en compte les îles Eparses). Ces projets différents permettent d’expliquer aujourd’hui l’organisation spatiale des territoires et les différences de vocabulaire (base / station / camp) qui seront explicitées un peu plus tard. En Terre Adélie, découverte en 1840 par Jules Dumont d’Urville, il n’a jamais été question de créer une colonie de peuplement. Les explorateurs ont eu immédiatement la vision qu’il ne pourrait y avoir qu’une occupation scientifique en raison du climat extrême régnant à ces latitudes lointaines. Dans les îles Kerguelen, Crozet, Amsterdam et Saint-Paul, le doute subsistait. La vie n’y est pas impossible et le climat est aussi rude que dans les îles Falkland ou le sud de la Patagonie et même moins froid que l’archipel du Svalbard ou le Groenland qui sont pourtant habités en continu. Ces deux visions différentes de l’aménagement, ne poursuivant pas les mêmes objectifs, ont eu pourtant des similarités dans le début du processus d’implantation de bâtiments.
En effet, bien avant le développement des projets, il fallut connaître précisément les archipels, recueillir des données climatiques, topographiques, biologiques, géologiques pour savoir d’une part où et comment implanter du bâti et d’autre part comment initier un modèle de croissance économique permettant de démarrer le processus d’expansion du peuplement. Ce fut l’objectif des missions de reconnaissance. Ces missions étaient adaptées en fonction des connaissances déjà acquises sur les différents territoires. Aux Kerguelen, la mission de Pierre Sicaud en 1949 a eu pour objectif principal de trouver le meilleur site pour l’implantation de la base de Port-aux-Français. A Crozet en 1957, c’est une mission de reconnaissance et une mission scientifique dirigée par le colonel Genty qui fut envoyée pour cartographier les îles et accroître le niveau de connaissances. Aux Kerguelen, les premiers bâtiments furent montés juste après la mission. A Crozet, il fallut attendre 1960 et les remarques du CNFRAA recommandant l’envoi rapide de scientifiques pour que le gouvernement se décide à occuper l’archipel en continu. En Terre Adélie cependant, l’installation d’une station en 1950 a été planifiée en même temps que la mission scientifique étant donné le coût très important de la logistique. A Amsterdam et Saint-Paul, les nombreuses campagnes de pêche et la superficie moindre des terres dispensa l’envoi d’une mission de reconnaissance. La base Martin-de-Viviès sortit de terre dès 1950 avec l’appui logistique de la SAPMER, société de pêche encore active basée à la Réunion.
Les premiers bâtiments étaient très souvent des baraques Fillods, des coques métalliques préfabriquées, isolées et résistantes qui ne requéraient pas de savoir-faire spécifique pour les monter contrairement à la base de Port-Martin qui fut construite par des charpentiers. Progressivement, ces baraques Fillods furent déconstruites pour laisser la place à de véritables bâtiments maçonnés sauf dans la station Dumont-d’Urville qui fonctionne toujours avec des préfabriqués métalliques vieillissants. Des quais furent aménagés pour le débarquement du fret et comportent encore aujourd’hui des citernes de carburant permettant le chauffage des bases tout comme le ravitaillement ponctuel de navires croisant non loin des archipels. Des routes et pistes ont ensuite permis de relier les bases-vies aux différentes installations techniques (station de pompage de l’eau potable) et scientifiques (sites d’étude du magnétisme, capteurs du CEA, de Météo France…). Aujourd’hui, le processus d’aménagement est le suivant :
➢ Décision d’aménager (prise par le préfet sur conseil du chef de district, demande externe ou application d’une politique publique d’aménagement),
➢ Programmation et études par le service infrastructures,
➢ Passation du marché public si besoin (possibilité de recourir à des ressources en interne),
➢ Choix de l’entreprise,
➢ Importation des matériaux par le service logistique,
➢ Mise en œuvre de la construction par les ouvriers polyvalents des TAAF (ou des personnels extérieurs quand le savoir-faire est absent),
➢ Entretien et recyclage par le service Infrastructures.
Au début du projet de colonisation de peuplement, le foncier était considéré comme une ressource illimitée. Aujourd’hui, l’emprise spatiale des bases a été figée dans des schémas d’aménagement en 2001. Combinés avec les plans de gestion de la réserve naturelle, ces documents servent aujourd’hui à ancrer le paradigme de protection de la biodiversité dans le long terme pour les TAAF. Les bases qui étaient censées être un préalable à la colonisation, ont perduré et existent aujourd’hui pour la science.
B – Un paradigme de protection issu d’un statu quo dans le subantarctique contre un statut particulier en Terre Adélie
Depuis les années 1950-1960 et la fin de l’exploitation des ressources dans les TAAF (malgré quelques soubresauts par la suite comme l’expérience infructueuse d’élevage de saumons et truites entre 1984 et 1993), un paradigme de protection s’est mis en place progressivement. Il découle d’un constat : le projet de colonisation est arrivé trop tard, dans un contexte de délitement de l’Union Française (Guerre d’Indochine, Guerre d’Algérie) et de décolonisation globale. L’objectif premier de la création de l’entité des TAAF était de « constituer des expériences administratives d’implantation humaine autour desquelles viendront se greffer dans l’avenir des équipes de vrais colons » (Rapport fait au nom de la commission des territoires d’outre-mer sur le projet de loi (n°1203) tendant à ériger en territoire distinct de Madagascar les terres australes et antarctiques françaises de M. Laforest, député, 30 juin 1953). Les bases ainsi créées n’avaient à l’origine pas vocation à être uniquement scientifiques, d’où l’utilisation de baraques Fillods pensées comme provisoires dans l’organisation de l’espace de vie. C’est à la suite des nombreux revers de la période de décolonisation que le paradigme de protection se met en place. La colonie de Madagascar devient indépendante en 1960 et les îles Eparses sont détachées du processus. La France ne peut alors plus compter que sur deux appuis dans l’océan Indien : Mayotte et surtout la Réunion qui prend le relais dans l’organisation administrative. Jusque dans les années 1990, les derniers soubresauts du paradigme d’exploitation se firent sentir dans les TAAF avec l’expérience Aquasaumon Armor. Mais la création de la réserve naturelle des îles Eparses en 1975 et d’un conseil de l’environnement en 1982 enclenche le nouveau processus. L’île Tromelin incarne ce changement dans un événement notable : l’interruption des vols touristiques de Réunion Air Service (Max Guérout, Tromelin la mémoire d’une île, 2015) débutés en 1978-1979 à l’initiative de Gérard Ethève, par un arrêté de protection de 1981.
Le changement profond de logique d’aménagement pour ces territoires est définitivement acté avec la rédaction de schémas directeurs en 2001. Ceux-ci ont pour vocation de figer l’emprise spatiale des bases et d’adjoindre des contraintes particulières à respecter : environnement (respect des zones de nidification par exemple), patrimoine (sites témoins de l’histoire des îles), servitudes liées aux installations scientifiques, prescriptions architecturales…Le fonctionnement des bases, qui était alors plus ou moins empirique, était fondé jusqu’en 2001 sur un statu quo dans l’attente de la concrétisation du projet initial. Avec ces schémas directeurs, l’organisation spatiale héritée de ce statu quo est officialisée. L’arrêté d’approbation de ces schémas acte de fait le changement de projet pour les TAAF. Ces schémas sont en vigueur dans les trois districts subantarctiques. Le besoin de réglementer l’utilisation du sol vient tardivement, quand l’on considère le foncier comme une ressource rare et fragile partagée avec les véritables habitants des TAAF : la faune et la flore. En Terre Adélie, cette considération pour le statut de la terre vient bien plus tôt étant donné que projet initial était justement celui d’une station uniquement scientifique. En 1962, Paul-Emile Victor alerte déjà sur la nécessité de se doter d’un « plan directeur d’aménagement » pour contrer un « développement anarchique » (TAAF n°21, page 6). Cette remarque aboutit sur la création d’un véritable schéma d’aménagement complet en 1964 qui comporte quelques principes qui ont un certain écho avec les objectifs de sobriété foncière contemporains :
- la concentration spatiale des bâtiments pour limiter les besoins en transports et la formation de groupes sociaux trop hétéroclites,
- la mitoyenneté des installations principales reliées entre elles si possible par un couloir en raison des conditions climatiques extrêmes (évitant au maximum tout déplacement extérieur),
- la liaison des bâtiments d’hivernage non mitoyens par une piste terrestre pour déplacer le matériel plus aisément en raison de la topographie difficile (et ce malgré l’importance des travaux à effectuer),
- le report de tous les choix non essentiels afin de ne pas trop contraindre le développement en raison des incertitudes futures (marge de manœuvre scientifique et technique).
L’aménagement est pensé a priori et non plus a posteriori en actant une situation de blocage. Ce positionnement découle du statut particulier de la Terre Adélie, protégée par le Traité sur l’Antarctique.
Aujourd’hui, ce paradigme de protection est basé sur la résilience, le recyclage et la sobriété dans les constructions. Des campagnes de dépollution et de démantèlement définies dans le plan de gestion 2018-2027 de la réserve naturelle nationale des TAAF ont lieu régulièrement pour redonner un maximum de place à la biodiversité. On peut parler ici de simple clôtures délimitant des pâturages de moutons aux Kerguelen jusqu’aux installations plus imposantes d’Aquasaumon Armor (bassins, bâtiments en dur…).
Paradoxalement, si l’on souhaite protéger ces milieux uniques au monde, il est nécessaire d’y maintenir une présence humaine minimale malgré les conséquences que cela peut engendrer sur l’environnement. En effet, un abandon des territoires ou à minima une présence intermittente engendrerait un délitement de la souveraineté française et ouvrirait la voie à des revendications d’autres puissances régionales se basant sur une rhétorique militariste à l’égard des îles stratégiques de l’océan Indien. A ce titre, la lente désagrégation des moyens investis dans les TAAF entraîne des risques pour le maintien de notre souveraineté comme pour la pérennité des installations. Ces avant-postes sont menacés, car ils coûtent mais rapportent peu et ne sont plus vus comme des priorités. Ce désintéressement de l’Etat est ancré, nous l’avons vu, depuis le dernier quart du XVIIIe siècle. Ces îles de la Désolation ne furent exploitées et valorisées qu’à l’initiative de quelques entrepreneurs et aventuriers privés. La tentative de réanimation d’un projet en phase avec un sentiment de grandeur nationale dans les années 1950 fut un échec. La gabegie de la Piste du Lion en Terre Adélie dans les années 1990 continua de discréditer les quelques personnes encore intéressées par ces territoires austraux si lointains dans les ministères. Désormais, l’austérité est de mise dans les TAAF et la Stratégie Polaire horizon 2030 est un sursaut visant à parer au plus urgent, à rattraper les conséquences du sous-investissement chronique, notamment pour la rénovation de la station Dumont-d’Urville devenue dangereuse.
Nous l’avons vu, il existait deux projets bien différents dans les TAAF : la colonisation de peuplement et la valorisation par la science. Le vocabulaire traduit ces deux conceptions différentes des projets de développement en France australe.
II – Des spatialités bien définies aux contours conceptuels pluriels
A – Les périmètres des concepts de « base » subantarctique et de la station antarctique
Le développement des installations scientifiques dans les années 1950 en France australe répond à deux approches différentes : préparer le terrain en collectant des données pour venir installer une colonie de peuplement d’une part, et consacrer un territoire à la science et la recherche d’autre part. D’un point de vue spatial cependant, même si les objectifs poursuivis ne sont pas les mêmes, les périmètres définis dans les documents de planification et par les autorités locales sont similaires pour la base ou la station scientifique. Ces deux concepts, base et station, ont des origines différentes et correspondent à des objectifs distincts. En premier lieu, la base est un concept polysémique. D’après le CNRTL, la base est le « principe fondamental sur lequel repose une conception, une institution, un raisonnement ». Dans les TAAF, dès 1949, les bases sont envisagées pour préparer le terrain et envisager le peuplement dans un second temps. Une deuxième connotation intéressante peut être relevée pour ce concept : la base est aussi un « lieu de concentration de troupes et de matériel destiné aux opérations militaires ». Des militaires ont en effet participé à la construction de ces bases et à leur gestion, encore aujourd’hui. Dans TAAF n°6, le personnel cadre de la base construite sur l’île Amsterdam comprend entre autres « le chef du détachement du génie avec un ou plusieurs soldats ou gradés, venus de la métropole ». La mission de reconnaissance de l’archipel de Crozet, avant l’installation de la base, fut menée par le colonel Robert Genty en 1957. Sur la photographie de la première mission, cinq militaires sont présents, trois sergents et deux adjudants-chefs, tous sous-officiers. L’expertise des corps d’armée en termes d’adaptabilité, d’organisation et de logistique fut mise à contribution dès le début de la construction des bases. Encore aujourd’hui, des militaires s’occupent de l’entretien des bases et sont employés pour leur métier même si leur présence permet de maintenir la souveraineté française dans ces îles éloignées.
La « base » est un objet qui existe certes dans le registre colonial et militaire mais qui n’a pas de réalité dans l’aménagement en tant que tel. Pourtant, en tant que préalable éventuel à l’établissement d’une ville, la base présente en germe un certain nombre de caractéristiques proto-urbaines. A ce titre, une définition peut être proposée pour l’objet « base » afin de mieux cerner sa matérialité. Une base est un « groupe de constructions hors maillage communal, connectées aux réseaux vitaux et reliées entre elles par des cheminements carrossables, qui accueille des activités non productives prédéfinies, et ne répond pas à une logique de croissance démographique ou économique, ni à des objectifs de peuplement permanent ». La base en elle-même n’a pas de logique de croissance internalisée. Des objectifs chiffrés en nombre de colons sont définis en amont et la base peut être étendue successivement jusqu’à atteindre le nombre critique fixé, au gré des livraisons logistiques. En effet, les fournitures, matériaux et vivres sont prévus dans une rotation qui ne peut emmener qu’un volume fixe. Cependant, cette base peut être un préalable à l’établissement d’une ville, l’objectif étant alors de préparer le terrain, de bâtir les infrastructures et équipements minimums nécessaires à la pérennisation d’un peuplement (routes, réseaux d’eau, électricité, télécommunication, port et quais, traitement des déchets).
Outre cette définition générale, les bases sont décrites par plusieurs périmètres définis par le chef de district et les documents de planification. Le chef de district, représentant du préfet sur les bases, définit des périmètres de sécurité à l’intérieur duquel les déplacements sont règlementés. A Crozet par exemple, ce sont les zones 1, 2 et 3 définies par une note de service interne qui indique également les règles de sécurité à respecter pour y circuler (nombre de personnes, matériel, contacts radios à réaliser). En zones 2 et 3, il est nécessaire de prendre une carte, un GPS et une trousse de secours. Les contacts radio doivent être effectués au départ, à l’arrivée et à chaque point haut de la sortie. La zone 1 correspond au périmètre de la « bases », les principales installations humaines et leurs abords (Prévention et secours, 4 avril 2010, blog officiel du district de Crozet, disponible en ligne : https://ilescrozet.blogspot.com/2010/04/prevention-et-secours_04.html). Sur le terrain, la base se définit donc en premier lieu comme une zone de sécurité où il est possible de circuler à moindre risque. Dans un contexte inhospitalier et pouvant être dangereux en fonction des conditions météorologiques (vents violents, brouillard épais…), la base est un lieu où le niveau de danger a été abaissé à un niveau tel qu’il n’est pas périlleux d’y circuler librement. La zone 1 est une frontière du danger. Tout ce qui est en dehors de cette zone est dit « hors base ». Ce périmètre découle directement des usages du terrain et des aménagements ayant été effectués pour repousser le danger.
L’autre délimitation de la base vient des documents de planification, les schémas directeurs approuvés en 2001. Ils ont permis de figer durablement l’aménagement et de privilégier une reconstruction du bâti sur lui-même en rationalisant la consommation de foncier. Les schémas directeurs comportent plusieurs zones communes qui avec des déclinaisons comme un PLU. La zone V (vie) inclut les logements et bâtiments de vie, la zone P (portuaire) regroupe les installations dédiées à la logistique des bases (dépôts de carburant, quais, stockage…), la zone T (technique) rassemble les lieux de la maintenance et du stockage (réseaux techniques, éventuellement coopérative et gérance postale…), la zone S (scientifique) rassemble les édifices permettant les activités scientifiques (laboratoires, sismologie…) et la zone N (naturelle) décrit les espaces où l’on peut croiser des animaux. A la différence d’un PLU, les périmètres sont circonscrits aux bâtiments là où une zone urbaine peut comporter des espaces dénués de constructions mais destinés à être artificialisés. La zone N est spécifique à Port-aux-Français qui est une base plus étendue qu’Alfred-Faure à Crozet ou Martin-de-Viviès à Amsterdam. Les installations humaines cernent une étendue marécageuse difficilement constructible appelée « Central Park » où nombre d’éléphants de mer sont visibles. C’est la zone dite « naturelle » qui apparaît en creux des autres secteurs à la constructibilité bien meilleure. Par la négative, tout ce qui n’est pas intégré dans le schéma directeur constitue la véritable zone naturelle, celle où la faune évolue sans contrainte. Quelques reliquats des aménagements passés, en cours de déconstruction, peuvent y être rencontrés mais l’homme y reste l’exception. Seuls les refuges permettant aux scientifiques de se rendre au plus près des sites d’intérêt émergent très ponctuellement dans le paysage et constituent des extensions de ces bases. Enfin, en termes de vocabulaire, on utilise la « base » pour les trois districts subantarctiques : Crozet, Kerguelen, Amsterdam.
La deuxième notion permettant de qualifier les installations humaines scientifiques dans les TAAF est la « station ». Dans les TAAF, on trouve deux occurrences de ce concept : la station Serge Frolow sur l’île Tromelin dans le district des Îles Eparses et la station Dumont-d’Urville en Terre Adélie. Ici, l’objectif est bien différent. Le caractère transitoire est affirmé dès le début et la station n’est pas conçue avec un aménagement dynamique pouvant évoluer vers une forme plus urbaine. L’impermanence est d’ailleurs la caractéristique principale du terme « station ». Le CNRTL nous indique que la « station » est le « fait de s’arrêter, arrêt plus ou moins long que l’on fait au cours d’un déplacement » (Station, CNRTL, disponible en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/station). La station est une étape dans un déplacement. C’est le cas pour l’exploration de l’Antarctique où Dumont-d’Urville constitue une porte vers ce continent. Les déplacements peuvent être poursuivis jusqu’à Concordia par exemple, une autre station. Conséquence de ce mouvement, l’on ne s’installe pas dans une station. La durée de séjour est toujours déterminée là où la logique des bases était justement d’établir un séjour à durée indéterminée. Du point de vue de l’aménagement, on parle notamment de stations thermales, d’été ou d’hiver (1865, Littré-Robin). Mais il est intéressant de noter que la « station » a une coloration scientifique ancienne. Le mot est attesté en 1170 en français et en 1690, l’on trouve la définition suivante : « lieu où l’on se place pour faire des observations ». A l’origine, les observations sont astronomiques mais petit à petit, toutes les sciences trouvent un intérêt dans les stations, des lieux spécialement construits pour la recherche scientifique. Là aussi, le fait militaire n’est pas loin : « séjour des bâtiments de guerre en pays étranger ou dans les territoires d’outre-mer, dont la mission est de faire respecter le pavillon national, d’exercer la police maritime, de protéger les nationaux ». Ce dernier sens ne transparaît pas à Dumont-d’Urville mais il est intéressant de souligner que les deux termes utilisés pour décrire les implantations humaines dans les TAAF ont une connotation militaire plus ou moins marquée. Le périmètre de la station a également évolué dans le temps. D’abord simplement météorologique dans les îles Eparses au début du XXe siècle, elles se sont progressivement ouvertes à d’autres sciences. Aujourd’hui, la station Serge Frolow sur l’île Tromelin est apte à accueillir des chercheurs de différentes disciplines. Elle regroupe toutes les installations nécessaires à la vie de ces derniers. En revanche, des stations de taille réduite existent toujours pour un seul domaine comme la station de Pointe Bénédicte sur l’île Amsterdam qui a pour vocation de mesurer les concentrations en gaz à effet de serre. Les deux termes « station » et « base » cohabitent d’ailleurs sur ce district des TAAF. En effet, la base Martin-de-Viviès sert de point de projection et de ravitaillement pour cette station de mesure en particulier. Deux spatialités différentes coexistent donc dans le terme « station » : celle pluridisciplinaire qui permet le séjour prolongé (Serge Frolow et Dumont-d’Urville) et celle plus réduite ne permet que des séjours éphémères le temps d’effectuer les mesures prévues. La station de mesure est réglée sur le temps purement scientifique tandis que la station plus générale s’inscrit dans le temps global du séjour défini avant le voyage.
La station n’a pas une vocation permanente. Le caractère temporaire des bâtiments est donc voulu à Dumont-d’Urville là où les bases ont hérité d’un projet inachevé. Ce qui frappe au premier abord, c’est que l’aménagement a été pensé en amont en Terre Adélie avec un schéma directeur. Le périmètre de la station fut fixé dès le début là où la base s’est progressivement étalée, en fonction des vocations que l’administration pouvait lui trouver. On retrouve là aussi des périmètres similaires à ceux de la base. Cependant, le périmètre de sécurité autour de la station évolue en fonction de la banquise. Des sondages peuvent être effectués pour connaître l’épaisseur de glace de mer et savoir s’il est possible de s’aventurer un peu plus loin. Les zones 1, 2 et ZSPA (patrimoine) sont redéfinies d’après les résultats.
Avec le gel de l’extension des bases en 2001 et la fin de la consommation foncière au-delà du strict minimum, on pourrait dire que les bases des TAAF se sont « stationifiées » en quelque sorte. Elles sont présentes de manière pérenne mais existent désormais pour elles-mêmes, en tant que points d’appui à la recherche scientifique dans des environnements préservés.
Aujourd’hui, la base et la station dans les TAAF recherchent le même but. La divergence des mots nous rappelle les destins souhaités pour ces implantations humaines. La connotation militaire est toujours plus ou moins présente et indique que ces avant-postes sont des sentinelles de la science et de la France dans le monde.
B – D’autres conceptions de ces objets dans le monde et les SHS
Si la France a choisi une vocation scientifique pour ses installations dans le subpolaire, d’autres pays n’ont pas fait ces choix. Le curseur militaire a parfois été poussé à son paroxysme. La dimension coloniale a également pu être pleinement réalisée. Les modes d’occupation du sol traduisent des objectifs bien différents et les mêmes termes de « base » et « station » sont parfois utilisés dans d’autres contextes et objectifs. En premier lieu, on peut penser aux bases militaires, dont le vaste site d’expérimentations nucléaires de Nouvelle-Zemble créé par décret spécial du 7 juillet 1954. Le cas de cet archipel est particulier car la base est venue après une colonisation décidée au XIXe siècle et basée sur la chasse. La population fut déportée entre le 15 juin et le 7 juillet 1956. C’est un cas de recolonisation militaire. Les bases militaires créées et faisant partie du site global d’essais ont servi de préalable à une reconfiguration totale de l’aménagement tourné exclusivement vers la vie des 12 000 habitants au maximum. Des expérimentations ont été menées pour développer l’arme nucléaire soviétique et l’activité des bases a profondément marqué l’environnement de la région avec nombre de cratères, de bâtiments ruinés et de déchets radioactifs enfouis. Les bases de Nouvelle-Zemble ne poursuivent absolument pas les mêmes objectifs que celles situées dans les TAAF.
Par ailleurs, d’autres termes peuvent être utilisés pour qualifier les implantations humaines éloignées dans ces îles où la recherche est possible. On peut penser en premier lieu au « camp » des îles Eparses qui a une vocation militaire de prime abord. Ils ont été édifiés dans les années 1970, à la fin de la période d’exploitation de ces territoires. A Juan de Nova, le camp Séga a été construit en 1973 alors que les derniers ouvriers de la SOFIM (Société Française des Îles de Madagascar) ont quitté l’île en 1975. On retrouve la même date de 1973 pour les îles Glorieuses et l’île Europa. Ces trois îles accueillent chacune un camp opéré par le 2e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine de la Réunion (2e RPIMA) sauf dans les îles Glorieuses où c’est un détachement de la Légion Etrangère à Mayotte. Ces camps ont été bâtis pour réaffirmer la souveraineté de la France sur ces territoires stratégiques, véritables vigies du canal du Mozambique, à une époque où celle-ci commençait à être contestée. Malgré la présence d’une dizaine de militaires, les bases sont aménagées pour héberger des scientifiques. Des locaux peuvent être réaffectées à ce type d’activités comme un casernement sur l’île Grande Glorieuse. Scientifiques et militaires cohabitent sur un même territoire et on observe un gradient dans les TAAF sur cet équilibre entre science et armée. A Tromelin, il n’y a qu’un seul gendarme pour représenter l’autorité. Dans les districts subantarctiques et en Terre Adélie, les militaires présents ne sont pas armés et exercent leur second métier (mécanicien, chauffagiste…). Dans les îles Eparses, c’est bien le fait militaire qui prime. Tous les aménagements ont été réalisés en ce sens. Ainsi, le camp militaire ou plutôt, l’avant-poste, est également un lieu de science.
Cette réflexion sur le camp militaire nous amène naturellement vers l’avant-poste. En effet, ce terme nous vient en premier lieu du lexique militaire avec de premières occurrences à la toute fin du XVIIIe siècle désignant un « poste détaché en avant d’une place, d’un corps de troupes pour surveiller l’ennemi et prévenir ses attaques » (CNRTL, https://www.cnrtl.fr/definition/avant-poste). Par extension, l’expression recouvre également les hommes affectés au détachement de l’avant-poste et aussi « tout ce qui sert de défense avancée contre un ennemi extérieur » (ibid.). Dans le cas des îles Eparses, les trois camps militaires sont autant d’avant-postes du 2e RPIMA de la Réunion et du Détachement de la Légion Etrangère à Mayotte. Le fait militaire est prépondérant dans la mesure où tout l’aménagement a été pensé autour des enjeux de souveraineté. Cependant, il est possible d’y faire de la science. Dans les districts plus austraux, les infrastructures ont d’abord été mises au service du scientifique et non du militaire. La notion d’avant-poste, tirée du lexique militaire, prend tout son sens dans les îles Eparses. Mais en renversant les termes de l’expression, on peut s’interroger autrement sur cette idée. Qu’en est-il du poste avancé ? Il s’agit d’un « lieu aménagé pour qu’un militaire ou une unité y soit placé(e) » (CNRTL, https://www.cnrtl.fr/lexicographie/poste). La notion de lieu affecté à un usage particulier pour une ou plusieurs personnes est centrale. Partant de ce sens, le mot « poste » déploie sa polysémie : « ensemble des militaires, corps de troupes placé en ce lieu », « fonction précise, emploi professionnel qu’occupe une personne dans une administration, une entreprise » ou encore « emplacement affecté à un usage professionnel particulier » (poste de contrôle, de secours, d’aiguillage, émetteur, de télégraphie…). Cette dernière dimension est intéressante car le renversement des termes permet d’en préciser le sens et d’ajouter l’adjectif scientifique. La dimension militaire s’en trouve d’emblée atténuée et nuance son importance dans l’aménagement. Le sens polysémique est convoqué dans le poste scientifique avancé tandis que c’est le sens métaphorique qui est sous-entendu dans l’avant-poste scientifique. Peut-être qu’il est possible d’opérer une distinction dans la grande famille des scientific outposts pour en préciser la portée. Les avant-postes scientifiques seraient des installations à l’origine militaire qui peuvent accueillir des activités scientifiques comme les camps des îles Eparses. Tandis que les postes scientifiques avancés seraient des installations originellement dédiées à la recherche dans laquelle des militaires peuvent évoluer ponctuellement. On peut distinguer la destination des lieux de cette façon par deux expressions différentes.
Le poste scientifique avancé est en relation avec un centre primaire comme l’IPEV dans les TAAF qui déploie la logistique pour les missions. Les universités s’appuient sur cette agence de moyens pour accéder à des terrains très isolés. Ces outposts sont alors autant de portails vers ces territoires sur lesquels ils déploient des micro-lieux dédiés à l’acquisition de données, les cabanes. Ces postes d’observation avancés dans les postes scientifiques avancés principaux sont dédiés à l’acquisition de données sur des terrains difficiles d’accès. Toutes les fonctions nécessaires à la vie y sont concentrées pour que les chercheurs puissent y passer quelques jours, le temps de mener leurs observations. Ils sont totalement dépendants des circuits logistiques mis en place pour les entretenir, depuis les bases qui sont elles mêmes assujetties aux flux vitaux opérés depuis l’île de la Réunion, relais métropolitain. La dimension d’avancement prend ici tout son sens du point de vue spatial. Ces outposts sont des lieux de projection de la puissance pour l’avant-poste militaire, ou de la science pour les postes scientifiques avancés mais qui dépendent totalement de l’investissement humain et économique décidé en amont.
Enfin, un détour par l’outpost de langue anglaise nous permettra de mieux comprendre la polysémie de ce mot qui finit par nourrir, pour l’instant de façon métaphorique, l’avant-poste français. Pour les dictionnaires Merriam-Webster et Oxford, l’outpost a deux sens principaux. L’un est militaire : détachement disposé en amont d’un corps de troupes principal pour prévenir toute attaque surprise ; ou base militaire établie dans un pays étranger par traité ou accord. L’autre est beaucoup plus général : un établissement (ou colonie) très périphérique (outlying) ou situé sur une frontière (https://www.merriam-webster.com/dictionary/outpost). Le mot est d’ailleurs formé de out et post, exprimant d’une part la position marginalisée par rapport à l’immense empire anglais notamment, et d’autre part l’idée d’établissement là où le français traduit par une position militaire avancée (qui peut aussi être reculée, tout dépend du point de vue). On trouve également les occurrences de human outpost en anglais (https://en.wikipedia.org/wiki/Human_outpost) et des exemples variés pour les observatoires scientifiques alors que le français commence tout juste à utiliser l’avant-poste calqué sur la première traduction de l’outpost militaire historique. Le terme anglais contient toute une dimension liée à l’empire colonial là où le français est essentiellement lié à l’art militaire. Deux solutions sont possibles, l’enrichissement du sens d’avant-poste en lui donnant un aspect non militaire, ou la création d’un nouveau concept pour englober l’avant-poste scientifique avec une destination militaire qui prime. Dans ce dernier cas, quels essais de catégorisation pourraient être satisfaisants ? Peut-on parler d’observatoires scientifiques isolés dans la mesure où l’essence de l’avant-poste est d’observer les mouvements de l’ennemi pour prévenir et que les scientifiques font des observations dans les bases et stations ? Peut-on parler de plates-formes scientifiques isolées comme il s’agit de structures servant de support, de base à un usage scientifique ou militaire ?
Conclusion
L’histoire humaine des Terres Australes et Antarctiques Françaises est jalonnée par plusieurs courants d’aménagement successifs. D’abord destinées à asseoir la puissance française vers le farthest south, les implantations ont ensuite rapidement pris un caractère artisanal puis proto-industriel voire totalement industriel pour la station baleinière de Port-Jeanne-d’Arc. Trois paradigmes différents peuvent être dégagés : la possession, l’exploitation et la protection. Plusieurs processus d’aménagement se sont alors succédé au cours du temps : industrialisation par la construction des moyens de production sur place, puis création des bases et stations en répondant à deux objectifs différents : servir de tremplin à une colonisation de peuplement, et valoriser les territoires par la science. Le statu quo du projet colonial des années 1950 a permis de modifier considérablement les projets de développement dans le subantarctique et d’installer le paradigme de protection avec un processus de sanctuarisation commencé dès le début du XXe siècle par l’instauration de divers périmètres (réserve naturelle, UNESCO, RAMSAR…). La base et la station ont une origine différente mais tendent aujourd’hui vers le même but. Toutefois, pour le camp des îles Eparses, la dimension militaire est prépondérante. Ainsi, ces différents avant-postes, dans leur destination originelle, méritent un essai de catégorisation à l’aune de cette nouvelle notion.
L’introduction du concept d’avant-poste scientifique permet de mieux analyser ces lieux de production du savoir très isolés. Autonomes ponctuellement sans jamais être autarciques, ces micro-lieux sont en relation avec tout un écosystème de concepts dont la base et la station. On constate aujourd’hui une avance dans la notion d’avant-poste, reprise dans la presse spécialisée (Ciel et Espace, 2018, https://www.cieletespace.fr/actualites/insight-nouvel-avant-poste-scientifique-sur-mars). Mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’une métaphore de langue anglaise littéralement traduite en français. L’outpost anglais a davantage de sens que l’avant-poste français. Alors, peut-être que l’avant-poste scientifique est une catégorie d’un outpost plus englobant qui regroupe tous ces lieux de production du savoir isolé ? Faut-il alors trouver une dénomination plus générale qui reprenne la notion de projection sans invoquer d’emblée une dimension militaire ? Ou au contraire, faut-il enrichir le sens d’avant-poste en se calquant sur l’anglais ?